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Témoignage de Cyrille

« À tour de rôle, les porteurs se changent en portés, et les portés en porteurs »

Un soir de cet hiver 2022, me voilà devant l’ancien monastère des Carmélites, à Bessines (79). Corinne et Laurent Bénéteau viennent tout récemment d’y créer un Village Saint Joseph, en partenariat avec les sœurs de la congrégation des Filles de la Charité du Sacré Cœur de Jésus, et avec le soutien actif de la paroisse de Niort et de ses pasteurs; et je viens pour apporter une petite contribution au lancement de la maison.

Aussitôt arrivé, je reçois un accueil simple, efficace, et déjà tout fraternel. Ce que je perçois en m’asseyant à la table de mon premier dîner au Village ne se démentira pas durant mon séjour : les regards s’échangent et se croisent dans la confiance, presque avec facilité ; elle permet à la conversation de s’engager. Nos vies, leurs secrets et leurs blessures ne se révèlent qu’au fil du temps ; mais nous voilà d’emblée tous solidement réunis pour nous écouter mutuellement, sans prétentions, avec toute la bienveillance possible.

Quelques un(e)s de ceux qui sont là ont tout particulièrement éprouvé les difficultés de l’existence ; leurs propres forces ne parviennent pas les relever tout à fait, si bien qu’il leur faut l’aide de l’un de ses « porteurs » dont les Evangiles nous propose la figure. Là se cache assurément la grande force du Village : il offre ce lieu de répit où des échanges peuvent se nouer en vérité entre femmes et hommes de bonne volonté. À contre-courant de la trépidante vie du monde, faisant de la rentabilité à court terme, une suggestion de chaque instant, est proposé là, à l’abri des vents et des craintes, un temps de reconstruction paisible à celles et à ceux qui en expriment humblement le besoin. Toute pauvreté y est considérée, accueillie, consolée ; un endroit particulièrement bienfaisant donc, où toutes nos fragilités sont mises à nues… Car, certes, un bénévole désireux de participer à l’aventure apporte, par son compagnonnage, une aide nécessaire à la vie du foyer, mais lui aussi reçoit beaucoup, comme une puissante leçon de vie, obligeant l’humilité. À tour de rôle, les porteurs se changent en portés, et les portés en porteurs. L’expérience est si édifiante qu’elle suscite, immanquablement, la question du sens profond de nos existences terrestres.

Les lectures quotidiennes de la Bible, le chant des psaumes, les temps d’adoration et de louange ne manquent pas d’éclairer nos âmes ; et, admirable, la discrète prière de Sœur Martine, Sœur Michèle, Sœur Cécile, Sœur Marie-Jo. et Sœur Marie-Thérèse rythme les jours.

Tout le reste est affaire de gestes simples, d’assiduité aux petites tâches du quotidien où chacun trouve, ou retrouve, la confiance dans ses capacités, le goût du travail en équipe, comme des jalons projetés, déjà, vers ce chemin à reprendre… Un chemin parfois à la Sylvain Tesson ; mais si les « chemins noirs » sont plus escarpés, ils sont aussi bien plus denses en « humanité ». À chaque pas, chaque foulée, il s’agit de sauvegarder l’équilibre, de refuser le compromis, de poser courageusement un regard honnête et lucide sur soi-même, de combattre les pensées mauvaises qui conduiraient au découragement ou à la violence.

Particulièrement marqué par ce séjour, par la clairvoyance et le dévouement sans failles de Corinne et Laurent, par la force de cette très belle œuvre où l’engagement résolu de chrétiens saute aux yeux et au cœur, je boucle ma valise, non sans un copieux brin de mélancolie… Je pars poursuivre l’année de propédeutique entamée quelques mois plus tôt ; cause à la fois de ma venue et mon départ trop rapide ; il me faut retourner en cours, continuer de réfléchir à l’itinéraire de ma propre route… Quelle qu’elle soit, j’espère beaucoup que, bientôt, elle me conduira à nouveau jusqu’à Bessines.

Un très grand merci ; beaucoup de courage à toutes et à tous ; en ferme union de prières.

Cyrille